Les bras ballants, l'air un peu surpris des reproches qui lui sont faits, le Commissaire européen s'est accroché tant bien que mal à son leitmotiv:
"Les règles européennes fonctionnent bien, Bruxelles n'est pas en cause, les fraudes sont inhérentes à tous systèmes administratifs et il n'est par conséquent pas nécessaire de réfléchir à une quelconque nouvelle législation".
Un constat sans équivoque qui peine néanmoins à convaincre.
Des chevaux de traits traités au phénylbutazone utilisés pour leur viande
Même si des tests ADN ont lieu en ce moment pour identifier l'ampleur de la fraude de la viande de cheval, la crainte d'une crise sanitaire de grande ampleur demeure. Six carcasses de chevaux contenant du phénylbutazone, un antidouleur qui rend la consommation humaine de viande de cheval traitée dangereuse, ont été découvertes au Royaume-Uni. La présence de cet anti-inflammatoire est d'autant plus inquiétante lorsque l'on connaît l'importante pratique frauduleuse dans un certain nombre d'Etat Membre de l'Union européenne.
En Roumanie, les carrioles tractées par des chevaux sont de moins en moins utilisées par les habitants ce qui a pour conséquence de rendre inutile un grand nombre de chevaux de trait. Comme souvent, les fraudeurs sont d'une imagination sans égale pour transformer une situation en leur avantage: les chevaux de trait se sont subitement changés en chevaux d'élevage par une valse des étiquettes, sans que le phénylbutazone ne disparaisse de leur viande pour autant...
Un vaste trafic de cheval à l'échelle européenne
Le problème devient encore plus préoccupant lorsque l'on sait qu'un vaste trafic de cheval existe avec l'Ukraine, la Pologne, la Roumanie, encore, laissant clairement le doute sur la conformité de ces chevaux avec la législation européenne et sur l'absence dans ces chevaux de tout antibiotique dangereux pour l'homme.
C'est au final tout un système qui apparaît vicié avec ce scandale de l'élevage industriel de la viande en Europe. Un système où la rentabilité économique coûte que coûte -la viande de cheval étant évidemment moins onéreuse que celle de bœuf est vendue au prix du bœuf- encourage la recherche du profit à tout prix au détriment de la qualité du produit et de la sécurité alimentaire.
C'est cette même logique qui permet malheureusement le retour en Europe des farines animales pour les poissons et qui rappelle tristement le scandale de la vache folle au milieu des années 90. Pour baisser les coûts de production, des farines animales furent utilisées pour nourrir les élevages, ce qui a provoqué le développement de l'encéphalopathie spongiforme chez les bovins et de graves maladies chez les humains les ayant consommés.
Une utilisation croissante de médicaments
Dernier avatar de cette économie alimentaire industrielle: la consommation impressionnante de médicaments par les animaux d'élevage et ses répercussions sur la santé humaine.
Aujourd'hui, la plupart des viandes que nous mangeons proviennent d'animaux d'élevage qui sont littéralement dopés, bourrés de médicaments. A chaque bouchée de viande c'est un cocktail d'antibiotiques que nous avalons: antiparasites, vermifuges, hormones, neuroleptiques, bêtabloquants font partie de la longue et stupéfiante liste des produits autorisés dans l'élevage.
Notons d'abord que les animaux deviennent de plus en plus résistants aux antibiotiques, ce qui multiplie les risques de manger de la viande malade. Le staphylocoque doré fait des ravages dans la population porcine européenne et des souches de cette bactérie sont présentes dans des taux allant de 1,9% à 40% des élevages en Europe.
L'absence de vérification de l'"effet cocktail"
Plus inquiétant encore, les effets de chaque médicament ne sont contrôlés que de façon isolée ignorant les conséquences de la consommation conjointe. C'est bien là le problème, certains produits médicamenteux ne semblent pas avoir les mêmes effets sur l'organisme humain lorsqu'ils sont seuls ou bien combinés avec d'autres...
Une étude scientifique menée par l'Université d'Aston en Grande Bretagne atteste cette crainte. Elle démontre que la combinaison de trois fongicides très employés dans l'agriculture et l'élevage provoque des effets graves sur les cellules du système nerveux de l'homme. Sous l'effet de ces mélanges les cellules subissent un "stress oxydant", phénomène connu pour son implication dans le développement de la maladie d'Alzheimer et de Parkinson.
Dans ce domaine, c'est plus d'Europe qu'il nous faut
Le sentiment que l'Union européenne prend des risques inconsidérés en laissant proliférer un tel système industriel est bien plus fort que les tentatives de la Commission européenne de rassurer les parlementaires européens et les citoyens. Pourtant c'est bien de l'échelon européen que la réponse doit venir aujourd'hui.
Lorsqu'on voit la complexité de la chaîne de production alimentaire où un produit commence son parcours en Roumanie puis passe de main en main entre Chypre, les Pays-Bas, la France et le Luxembourg, il est difficile de concevoir que les Etats Membres ont encore la main mise sur ce l'élevage industriel de la viande en Europe.
Le scandale de la viande de cheval aura permis de jeter une lumière blafarde sur certaines dérives de l'élevage industriel. Certes, il faut renforcer les contrôles et améliorer l'étiquetage des produits cuisinés à base de viande, mais nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion globale sur notre système de production.
Dans le cas contraire, M. Borg, ou son successeur, reviendra devant nous, les députés européens, d'ici quelques années et nous dira, à nouveau les bras ballants, que l'Union européenne n'y peut rien et qu'il s'agit encore d'une simple fraude.
L'Union européenne ne peut pas avoir uniquement un rôle de pompier qui gère les crises qui surviennent successivement, notre action doit être amont et nous devons avoir le courage de proposer les mesures législatives nécessaires, c'est la seule disposition qui ramènera durablement la confiance des citoyens dans nos institutions communautaires.