LE PLUS. La crise ukrainienne a considérablement tendu les relations entre la Russie et ses partenaires commerciaux européens. Plusieurs pays de l'Union européenne étant dépendants du gaz russe, peut-on craindre une pénurie d'approvisionnement pour le continent ? Doit-on revoir notre stratégie énergétique ? Éclairages de Gilles Pargneaux, député européen.
La crise ukrainienne a occupé une place majeure lors du sommet européen des 20 et 21 mars. Les chefs d'État et de gouvernement ont ainsi signé le volet politique de l'accord d'association avec l'Ukraine, accord dont l'annulation par Viktor Ianoukovitch avait provoqué la crise politique que le pays connaît aujourd'hui. L'Europe est encore trop dépendante du gaz russe.
Tant la signature d'un accord d'association, pour l'instant a minima, que les sanctions européennes particulièrement modérées contre Moscou, démontrent que la dépendance énergétique européenne à l'égard de la Russie est trop forte.
Si Moscou décidait de couper à nouveau le robinet de gaz à l'Ukraine, c’est au final plus de 17 pays membres de l'Union européenne – y compris la France, dont le gaz transite par l'Ukraine – qui se retrouveraient avec des difficultés pour se chauffer.
Pire, certains comme la Bulgarie ou la Slovaquie dépendent presque à 100% du gaz russe et seraient dans une situation de détresse énergétique.
Pour ce qui concerne la France, la part du gaz russe dans la consommation est passée de 14 à 17% entre 2012 et 2013. Une crise gazière avec la Russie auraient donc des effets moins radicaux.
Ce scénario catastrophe a déjà eu lieu lorsque la Russie a coupé l'arrivée de gaz en Ukraine en 2006 et 2009. La Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, l'Autriche, la Slovaquie et la Slovénie furent les plus touchés. Ces pays ont vu des dizaines de milliers de ménages privés de chauffage, leur activité économique et industrielle ralentie avec la suspension pendant deux semaines des livraisons de gaz.
Une politique énergétique commune est nécessaire
En parallèle à cette dépendance énergétique, des grandes agglomérations européennes viennent de connaitre des pics de pollution qui nous rappellent que la problématique de l'énergie c'est aussi celle de la transition énergétique.
Tant notre dépendance énergétique que la nécessaire transition écologique en Europe démontrent que nous avons besoin d'une "politique énergétique commune". À l'image de la "politique agricole commune" (PAC) et de la politique de cohésion, la mise en commun de nos politiques énergétiques au niveau européen est l’horizon d’une Europe forte et protectrice.
Coopération et solidarité énergétique, voilà les défis qui sont devant nous pour construire notre politique énergétique commune.
La coopération doit d'abord prendre forme dans des grands projets industriels.
La politique énergétique commune doit participer à une grande stratégie industrielle européenne pour développer une industrie automobile propre, les véhicules électriques et une grande politique en faveur des énergies renouvelables (éolien, solaire, hydrogène). Financer des grands projets d'infrastructures électriques entre les États membres pour réduire notre dépendance commune au gaz doit aussi faire partie de ses prérogatives.
Coopération aussi, car notre politique énergétique ne peut plus simplement se penser à l’échelon national.
Quand l’Allemagne décide unilatéralement de sortir du nucléaire sans aucune concertation, les pays voisins en pâtissent – notamment les Pays-Bas et l'Autriche, dont les réseaux énergétiques sont très connectés – que ce soit au niveau du prix de leur énergie ou bien de leur planification d’importation et d’exportation.
Nous devons gérer l’interdépendance que nous avons créée sur le marché européen de l'énergie.
Derrière la stratégie, il faut une solidarité énergétique
La coopération, c’est également la définition d’une stratégie énergétique commune.
Quand la République Tchèque, la Hongrie et la Bulgarie négocient des projets de centrales nucléaires avec Rosatom, l’équivalent russe d’Areva, nous devons être vigilants pour qu’une dépendance n’en remplace pas une autre. Sans approche stratégique commune et donc sans vision commune, la politique énergétique européenne n’a pas de sens.
Solidarité ensuite car l’Europe doit assurer la sécurité d’approvisionnement en énergie de l’ensemble de ses États membres. Nous devons mettre en commun nos capacités d’énergie afin que la Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie, l'Autriche, la Hongrie, la Pologne et même la France ne soient plus dépendants du gaz russe mais puisse disposer d’autres sources d’énergies. La solidarité sera rendue possible par la diversification des sources d’énergie profitable à tous les Européens. Assurer cette solidarité et donc cette sécurité énergétique c’est au final assurer la liberté des Européennes et des Européens.
Dans une perspective plus large, cette politique énergétique commune doit accompagner la transition énergétique. Il s’agit de la deuxième face de la sécurité énergétique : moins consommer pour être moins dépendant.
Le Conseil européen des 20 et 21 mars s'est penché sur nos objectifs pour l’énergie et le climat à l’horizon 2030. C'est l'ambition qui doit être notre priorité en ce domaine. Réduire nos émissions de 40% d’ici à 2030 et réviser efficacement le système du marché carbone pour qu’il incite les entreprises à investir dans des énergies durables sont des étapes absolument indispensables pour mettre un terme à la faiblesse de l’Europe de l’Energie.
Définir notre vision stratégique de l’Europe de l’Énergie, coopérer dans nos grandes décisions en la matière et promouvoir la solidarité énergétique pour unir les Européens, voilà les ambitions de la politique énergétique commune.Les Européens appellent de leurs vœux cette grande politique. Ayons l’audace de leur proposer à nouveau un grand projet politique, fédérateur et commun.
L’Europe est née de l’énergie en 1951, avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Retrouvons ce souffle. C'est par une grande politique énergétique commune que nous redonnerons non seulement confiance aux 500 millions d'Européens et d'Européennes et que nous construirons durablement la paix en Europe.