J'ai participé ce mardi 11 septembre à un débat au Parlement européen sur les enjeux et perspectives de la distribution d'électricité en France. Sophie AUCONIE (PPE), Jean Pierre AUDY (PPE), Karima DELLI (EELV), Michèle RIVASI (EELV) Catherine TRAUTMAN (S&D), Bernadette VERGNAUD (S&D), Henri WEBER (S&D) et moi-même étions présents ce qui nous a permis d'aborder en détail l'évolution de ce secteur clé pour l'Europe en général et la France en particulier.
Lors de ce débat, la majorité de nos échanges a concerné la proposition de directive de la Commission européenne souhaitant ouvrir à la concurrence l'attribution des concessions par les collectivités locales. Les concessions sont une délégation de service public par une collectivité à une entreprise concessionnaire, c'est par exemple EDF qui se voit confier la gestion de la distribution de l'électricité sur la majorité du territoire français. Autrement dit, après la production, c'est désormais la distribution d'énergie (et donc d'électricité) que la Commission veut libéraliser en ouvrant l'attribution des concessions à la concurrence. La libéralisation qu'entrainerait cette directive est très problématique lorsque l'on touche à des secteurs qui ont vocation à remplir un service public. Ces secteurs s'occupent d'abord de la justice sociale avant toute considération économique. La question est par conséquent cruciale pour un domaine en France : la distribution d'électricité.
Une fois de plus la Commission veut imposer aux Etats membres une gestion libérale de tout ce qu'il est possible de réguler, et cela, en imposant une législation commune à des pays qui ont pourtant des organisations de réseaux d'énergie extrêmement différents. C'est spécialement le cas de la France où un monopole légal de la distribution d'électricité existe depuis 1946. Cette ouverture à la concurrence pose donc un certain nombre de problèmes qui m'obligent à être sceptique quant à l'opportunité de légiférer sur la question :
1 - Péréquation et concurrence : vers une augmentation du prix de l'électricité?
Premier point conflictuel, l'ouverture à la concurrence de la distribution d'électricité fait craindre une remise en cause de la péréquation tarifaire, un système qui permet à tous les résidents de France de payer l'électricité au même tarif et qui est inscrit dans le marbre de la loi en France car la distribution d'électricité est assujettie à l'intérêt général. Si la péréquation était abandonnée, les territoires ruraux paieraient l'acheminement de l'électricité environ sept fois plus cher que les territoires urbains.
La fin de la péréquation tarifaire signifierait la fin de la distribution d'électricité comme service public, service public qui a pourtant inscrit dans son marbre l'égalité de traitement de tous les utilisateurs... L'ouverture des concessions à la concurrence ne peut pas être complètement neutre pour le système électrique français. Autrement dit, nous nous trouvons face à un dilemme qui menace directement le service public à la française
Il faut noter également que si l'on examine l'échelle européenne de la distribution d'électricité, une forte concurrence dans ce domaine n'implique pas mécaniquement une baisse des prix. Ainsi, la France, l'Italie ou le Portugal ont en commun une situation de quasi-monopole mais le prix de l'électricité y est beaucoup plus faible qu'en Allemagne où le système de distribution est très ouvert. Si l'on garde à l'esprit que la moitié des dépenses du secteur électrique se rapportent à la distribution de l'électricité, l'impact de la concurrence est ici encore plus contestable. Par conséquent, l'ouverture à la concurrence de ce secteur n'est pas une panacée si l'objectif principal est de faire baisser les prix, c'est même l'opposé que l'on peut constater aujourd'hui.
En définitive, si l'ouverture à la concurrence se traduit par une augmentation du prix de l'électricité en vertu de la sacro-sainte concurrence, il est difficile de justifier cette position. D'autant plus qu'en période de crise, où une relance économique devient de plus en plus nécessaire, porter un grand coup à la demande intérieure de l'UE en diminuant le pouvoir d'achat apparait tout à fait contre productif.
2 - Un dispositif adéquat pour l'innovation et la transition environnementale?
Autre point, la directive propose de définir des durées de concession relativement courtes. Une fois de plus, cette volonté de la Commission européenne s'oppose à la tradition française de distribution de l'électricité. En effet, les collectivités locales cèdent leur concession pour de longue période (environ 25 ans en France, 45 ans en Espagne ou 99 ans en Grande Bretagne). Ces longues durées de concession permettent ainsi aux opérateurs d'abord d'entretenir efficacement le réseau, mais surtout de réaliser les importants investissements nécessaires pour s'adapter aux innovations et aux nouveaux impératifs de ce secteur : transition environnementale, impératifs sociaux, amélioration technique... Même si la Commission européenne souhaite que les concessions durent le temps de remplir des objectifs préalablement définis, il semble peu probable que des périodes inférieures à 5 ans soient capables de porter la transition énergétique que la Commission veut pourtant réaliser en Europe.
Il faut également noter que des contrats de plus longues durées permettent aux opérateurs de bénéficier de meilleures conditions financières et de taux d'intérêt plus bas, ce qui à terme peut être au bénéfice du consommateur qui verra sa facture diminuer.
3 - Favoriser une directive légère plutôt que très encadrante et contraignante
Légiférer dans un contexte aussi complexe que la distribution d'électricité impose d'adopter une législation légère, apte à s'adapter aux spécificités nationales. Transparence et flexibilité (ne pas se baser uniquement sur des critères économiques) dans le choix des opérateurs devraient être les maitres mots de cette directive.
Surtout les critères économiques ne peuvent être les plus importants pour choisir les opérateurs, on en reviendrait à favoriser l'opérateur le moins cher pour effectuer un service public qui doit avant tout être évaluer à la hauteur de sa qualité et de son bénéfice pour les citoyens. Je suis par conséquent résolument opposé à la hiérarchisation des critères proposée par la Commission européenne qui porterait un coup durable à la notion de service public en France.
Je resterai ainsi très vigilant sur ce dossier qui devrait être adopté par le Parlement européen au début de l'année 2013, afin que nos services publics ne soient pas vidés de leur sens au nom d'une idéologie libérale qui a trop souvent montrée ses faiblesses et ses dangers en Europe.