Mercredi 8 février, nous avons débattu de l'Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) lors de la réunion du groupe S&D. Ce traité international concerne les droits de propriété intellectuelle et a été signé par une dizaine de pays (Australie, Corée du Sud, Nouvelle-Zélande, Mexique, Jordanie, Maroc, Singapour, Etats-Unis, Union Européenne, Suisse, Japon, Emirats arabes unis et Canada).
Cet accord a vocation à établir un nouveau cadre juridique international afin d'harmoniser la manière dont ces pays protègent la propriété intellectuelle. Son champ d'application est très vaste : il s'étend des marchandises contrefaites aux infractions de droits d'auteur sur internet en passant par les médicaments.
La première critique que l'on peut faire à ce traité est l'opacité de son élaboration. Malgré un début de négociations en 2007, il a tout de même fallu attendre le 20 avril 2010 pour qu'une version officielle de l'accord soit publiée. Les Etats signataires ont rédigé ce texte enfermés dans leur tour d'ivoire et sans tenir compte des voix de la société civile et des autorités démocratiques!
De cette mise à l'écart d'importantes parties prenantes ne pouvait résulter qu'un texte très difficilement applicable, peu légitime et démocratiquement contestable.
Kader Arif, le rapporteur sur ce texte a d'ailleurs démissionné pour protester face à ce qu'il qualifie de "mascarade" législative. La volonté d'exclure le Parlement européen des négociations, les reports successifs de la signature du traité sans explication, le manque de transparence du processus sont autant de pratiques regrettables et peu démocratiques que l'ancien rapporteur a voulu dénoncer.
Mais c'est bien le corps même du texte qui reste le plus problématique. Le traité fait référence à deux points spécifiques : la contrefaçon des marchandises et la protection des droits d'auteurs sur internet. Bien que ce soit la référence à internet qui a suscité le plus de réactions jusqu'à présent, le versant marchandise de l'accord apparaît tout aussi dangereux.
Un cadre de surveillance élaboré qui menace la liberté d'internet
Au niveau des libertés informatiques, ACTA souhaite imposer aux fournisseurs d'accès internet la surveillance de leurs utilisateurs, interdire ou limiter la copie sur les contenus protégés par le droit d'auteur et criminaliser le partage des fichiers sur internet.
Internet est l'un des derniers bastions de liberté pour nombre d'entre nous. Il est donc intolérable que soit remis en cause cet espace de partage et d'échange. Le traité appelle à une surveillance systématique des utilisateurs d'internet : Tout détenteur de droits d'auteur pourrait ainsi réclamer des informations aux fournisseurs d'accès internet sur les internautes possédant des fichiers téléchargés sous peine de sanctions pénales. Autrement dit, ACTA mettrait en place un cadre légal incitant fortement les acteurs d'internet à bloquer, filtrer et détruire les fichiers téléchargés des internautes.
Alors que le Traité de Lisbonne fait de la Charte des Droits Fondamentaux un texte juridiquement contraignant, les rédacteurs d'ACTA ont clairement omis d'élaborer leur traité à la lumière de celle ci. Son article 8 précise à propos des données informatiques que : "Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d'un autre fondement légitime prévu par la loi." Force est de constater qu'ACTA est loin de correspondre aux énoncés de cet article.
Un traité dangereux pour la circulation des médicaments génériques
Outre le volet informatique, ACTA aborde également la question de la contrefaçon des médicaments. Cette ambition est louable à l'heure où un nombre trop important de médicaments falsifiés circule dans l'Union Européenne et le monde. Toutefois, l'approche prônée par ACTA me semble totalement ineffective car elle limiterait surtout l'utilisation des médicaments génériques à bas prix.
ACTA affiche effectivement une volonté de bloquer la circulation de certains de ces médicaments génériques au nom de la lutte contre la contrefaçon. Cette prise de position n'a aucun sens dans la mesure où ces médicaments sauvent des millions de vies dans les pays en développement où l'accès à la santé dépend encore plus du niveau des prix des médicaments.
En confondant faux médicaments et médicaments génériques sans licence, le traité empêche la circulation de médicaments qui ne respectent pas les brevets pharmaceutiques. Or le non-respect des brevets n'est en aucun cas un signe de dangerosité pour ces médicaments. De fait, la plupart des brevets concernant les médicaments font référence à dispositions de confort et/ou esthétiques : couleur du médicament, goût, taille... Bref, des caractéristiques qui ne concernent absolument pas les effets thérapeutiques des médicaments génériques!
En tant que membre de la commission environnement, sécurité sanitaire et santé publique je ne peux que m'opposer à un traité qui offrirait un cadre juridique à la saisie de médicaments souvent destinés à la lutte contre le SIDA dans les pays en développement. Accepter ce traité serait pour moi tout simplement scandaleux.
En tant que socialiste, nous ne pouvons brader nos valeurs fondamentales sous couverts de la protection de la propriété intellectuelle. Le Parlement européen a un droit de regard sur les traités internationaux depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009. Nous pouvons ainsi accepter ou refuser l'application de ces traités. ACTA fait parti de ces textes que le Parlement européen ne peut accepter, nos valeurs de défense du citoyen et de protection des droits fondamentaux nous l'interdisent.